Poèmes

Plusieurs poèmes ont été publiés dans les revues suivantes :

Débuts – n°2

Pourtant – n°6

Point de Chute – n°3

L’air de rien – n°3

Pojar – numéros 12, 13 et 14

Revu – n°9

Région Centrale – n°4

L’éponge n°4

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En voici quelques uns inédits, tirés de deux projets de recueils :
Massif, Intérieurs  et    LES TITRES 

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Un message du futur



C’est très étonnant 
C’est très étonnant 

Les mots sont déjà écrits sur la page,
le regard ou la règle les font apparaître

Faites comme s’ils n’étaient pas déjà là
mais jouez le jeu 
du chapeau
de trois fois le tour sur soi-même

Il y avait un muret
un spectacle se déroulait 
caché
sur la demande d’un spectre

On nous y avait invités
par ricochets sonores, 
quelques ritournelles
envoyées depuis le futur

C’est très étrange
très étrange

Une forme tremble derrière le paravent 
le message du futur
tient dans une boîte à chaussures
guère plus

au bout de la page,
il revient
sublimé dans la foi, 
un scanner
une image presque accomplie

du présent

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Le grand mystère




le grand mystère
un mot surgit dans la tête
il est impropre à toute description
de cette sensation 

une chaleur
le vent

ce ne sont pas des objets

Fermer les yeux est plus facile 
que s’ouvrir la cervelle

Le grand mystère sans mystère

(oiseaux électroniques
insectes électroniques
chemins électroniques)

accueillir le réel est juste étouffant

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4’33’’



4’33’’ de silence dans mes oreilles
la faim me tord le ventre
l’horloge dit le temps qu’il fait

le piano s’éteint souvent à 8h00
les mains d’argent en suspension horizontale
nous sommes trop nombreux dans la pièce

As-tu suivi les débats ?
tout a été mélangé dans un tambour
puis il a tiré un nom

C’était Y 
nous avons appelé ceux du haut 
à descendre dans la piscine vide

tout a été convenu à l’avance
la danse, la folie, le sermon, 
la folie, le balancement du métronome

un tiroir contient les paquets de cartes
un autre des partitions 
et puis la tête d’un chat

la musique est maudite
la musique est maudite

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L’innocence de Pikachu


On a appris que Pikachu était mort. 

(Il était très très malade
on l’a emmené à l’hôpital 
mais l’hôpital était fermé
- au bout de trois)

La nouvelle est tombée
brutale, du dehors. 
Comme un astéroïde en flammes.

Certains regardaient encore le ciel
d’autres finissaient leur verre. Éteints. 

Une multitude assommée. 

À droite, à gauche, 
des visages emboutis par la douleur,
abrutis par la contingence
ou bien la nécessité, 
ça n’était pas réglé d’avance.

Un type frappait en continu 
un container
avec les pieds des autres,
avec des poings nus et mous 
avec ses dents mauves de travers
sous l’œil des chiens et des rats 
qui commémoraient l’instant 
dans la grâce du soir. 

Ne rien faire d’autre qu’accepter cette idée 
brillante comme un miroir de mercure :
Pikachu est mort. 

Et l’innocence, 
et la joie, 
et l’amour, 

dans l’abîme.

/

Le problème de Molyneux

Je mange des cacahuètes
une à une
avec mes doigts
les retirant du bol
une à une

Ce sont des chips en forme de frites
comme dans les bars de l’ancien temps

Pourquoi donc ai-je écrit cacahuètes, 
alors que ce sont bien des chips en forme de frites

Quelque chose m’échappe

Je saisis la cacahuète avec deux doigts
et l’observe attentivement

Quelle drôle de cacahuète,
forme et fond ensemble 
en rondeur illusoire, 
ainsi faite pour me duper

Il n’y a donc rien qui m’assure du réel

La preuve du pudding 
c’est le formica sous la main
un goût salé à graver sur le zinc
et la cuillère tinte en douce

Le bol de cacahuètes
m’a déjà fait glisser
sur le rebord du rasoir

Il faut toutefois poursuivre le récit
sans que jamais le monde 
ne s’accorde aux mots 
de la serveuse sourde

/

Dans la voiture
être encore dans la voiture
au bord de l'église cette fois
comme au bord d'une falaise.

L'eau ruisselle
rien de nouveau.

On dirait une fonte de neige
dans un salon d'hiver
chauffé au fer rouge.

Mais est-ce bien de l'eau ?

Les larmes du Christ
ou d'un bodhisattva ?

Un os y est lavé
La pluie s'est arrêtée
La route apparaît

/

Molasse, 
moraines 

alluvions drainés 
depuis des millénaires

sous le pont
lézards, alevins, 

au-dessus,
le gars jette mégots
et mollards

pas loin
du touriste allongé
sur les galets

parasol Fanta
au bar de la rivière

coup d’œil du boss
aux backpackers
égarés

la boussole 
indique le fond 
du cirque

d’où les cimes 
nous tancent.

/

chaque fois
faire les courses
m'abîme 
me nuit

il y a ce tapis qui roule
et les choses dessus
une petite métaphore facile
du destin

parfois une bouteille bascule
et se casse
grand fracas
ça gicle sur tout le monde
c'est du sirop c'est très collant
du sirop de fraise 
c'est peut-être
plus collant encore 
que du sirop de cassis
ou de mûres
mais qui achète encore du sirop
de mûres ou d'orgeat

orgeat
orgeat
ce mot d'orgeat
mon dieu ce mot d'orgeat
qui vient de loin

orge 
bien grasse
vous êtes bien las
tous
et vous me regardez mal
à cause de cette bouteille
fracassée par terre
et c'est tout collant
et c'est dégueulasse

orge lasse

mais est ce ma faute à moi
si la bouteille est par terre

c'est juste la gravité