Textes pour le théâtre

Voici quelques textes écrits pour le théâtre.

Ils ont été mis en scène par Lise Ardaillon avec la cie Moteurs Multiples.

A l’écart

Texte lauréat de l’aide à la création de littérature dramatique ARTCENA 2021.

Un homme réapparaît trente après avoir vécu seul dans les bois, retiré de la société humaine. Un journaliste tente de comprendre ce geste. Au travers des témoignages de Camille Chevalier lui-même et de ses proches, il aperçoit dans cette énigme le sens de ce qu'est une existence, avec et sans autrui.

Ce texte pour le théâtre est tiré d’un fait divers relaté par Michael Finkel dans son livre Le dernier ermite. La pièce en est librement inspirée. Le spectacle est en cours de production pour la saison 2025-2026.

Extraits :

Si nul ne prononce mon nom
est-ce que j’existe encore ? 
Je me laisse porter par l’eau du lac. 
Étendu à la surface.
Au-dessus de moi les étoiles. 
Je n’ai pas froid.
Je n’ai pas faim.
Je n’ai pas chaud.
Je n’ai pas soif.
Je me tiens au milieu du lac
comme au milieu du monde.
Les bungalows sur la rive.
La montagne à mes pieds.
Je retrouverai mon camp tout à l’heure.
Chaque chose à sa place, comme toujours. 
Je pourrais me dissoudre dans l’eau
Rien ne s’y oppose.
Peut-être ne suis-je déjà plus rien.
Sinon la légende que vous vous racontez.


*

Un surveillant de la maison d’arrêt

Si vous voulez parler de l’ermite, 
sachez qu’il y a vos collègues qui sont déjà passés. 
On a eu la radio.
On a eu la télé. 
Il commence à être connu dans le pays. 
C’est notre célébrité à nous. 
On n’en a pas tant que ça. 
C’est un petit patelin ici, vous le savez déjà.
Il y a eu le gars qui a inventé je ne sais plus trop quoi là, 
et puis il y a lui. 
On ne peut pas dire qu’il soit très causant. 
Pas qu’avec les surveillants, 
avec les autres détenus non plus il ne parle pas vraiment. 
Il ne va pas rester longtemps.  
Il n’a fait de mal à personne ce gars. 
Il a volé, bon ok. 
Il a volé quoi, 
des conserves ? Des babioles ? 
De quoi survivre, en fait. 
J’ai appris qu’il volait des bouquins, aussi, c’est ça ? 
Il en lit beaucoup en cellule. 
Il ne loupe jamais la promenade, ça c’est sûr.
Je le vois, là, dans la cour. 
Il fait des sortes de parcours à lui. 
On dirait comme une danse. 
Il regarde la montagne en face. 
Oui, parce que depuis la cour de la maison d’arrêt 
on voit la montagne où il est resté tout ce temps, 
tout seul. 
Trente ans, c’est ça ? 
C’est dingue.
C’est sûr que la maison d’arrêt, c’est pas pareil.
Où il était avant il était au grand air. 
Le silence. 
Qu’est-ce que voulez, ici, c’est le bruit des clés.
Les portes, les gars qui gueulent. 
On en parle, de ça, des fois, entre surveillants.
Faut pas croire. 
Ça agit sur nous, aussi. 
Il y en a qui craquent. 
Quand on rentre chez nous, 
on a besoin de se vider la tête. 
Moi j’ai mon bricolage. 
Je m’enferme dans mon garage. 
Je suis bien. 
Il y a l’odeur d’essence, 
le ronronnement de la chaudière. 
J’y pense des fois dans mon garage, à l’ermite.
Je me dis qu’il était peinard, quoi. 
C’est pas ce qu’on veut tous ? 

*


Camille

Elle m’avait dit,
rentre tôt, il faut aider ton père.
Un truc à faire sur le toit
ou bien le tracteur, encore. 
J’avais pris la voiture, 
histoire de rentrer plus vite après le travail. 
Mais je ne suis pas rentré.
Vous le savez déjà.
J’ai roulé. 
J’ai beaucoup roulé.
Je suis allé vers le sud. 
Je suivais les routes secondaires.
J’ai traversé des départements 
que je n’avais jamais visités,
ni même vus sur des cartes,
et des communes avec des noms comme des sorts.
Je ne m’arrêtais que pour manger 
dans les cafétérias de supermarché 
en zones périurbaines. 
J’y ai pris le temps de penser. 
J’ai beaucoup pensé, oui. 
J’ai mis les choses à plat
dans ma tête.
J’observais les gens. 
Les familles. 
Les hommes seuls, 
devant le plat du jour.
Je ne faisais déjà plus partie de leur monde. 
Quelle idée la serveuse se fait-elle de moi ? 
De quel univers suis-je issu 
pour le représentant de commerce ? 
Quelle consistance est la mienne
alors que vos regards me traversent,
comme un rayon de soleil dans la vitre ?
Et si je disparaissais, là, maintenant
devant mon plateau à la cafétéria.
Ma disparition provoquerait elle 
un déséquilibre cosmique ?
Ou bien toutes choses se maintiendraient en état 
dans la tranquillité des faits objectifs. 
La nuit tombait, quand je suis arrivé au bord de la terre. 
J’ai regardé un moment la mer devenir orange
dans le couchant. 
Puis je suis remonté dans ma voiture 
et j’ai roulé en sens inverse. 
Pour être à l’heure au boulot. 
J’ai roulé toute la nuit,
et le jour se levait tout juste 
quand je suis repassé devant la maison. 
J’imaginais mes parents et mon frère autour de la table. 
Mon frère qui essayait de les rassurer 
en leur disant que j’étais peut-être resté dormir chez un ami.
Je ne me suis pas arrêté.
Je n’ai pas passé la porte.
Je ne me suis pas assis avec eux.
Une chose que j’aurais du mal à expliquer, oui.
J‘ai continué de rouler. 
Cette fois-ci vers le nord. 
Il ne me restait plus beaucoup d’essence. 
Pourquoi aller au boulot ? 
Je ne pouvais plus. 
J’ai roulé, toujours, 
la vitre baissée. 
C’était le début du printemps. 
Un soleil doux entrait dans l’habitacle. 
J’ai dépassé mon ancien lycée. 
Une photo de moi devait y traîner quelque part, 
dans un trombinoscope. 
Je quittais ma ville natale. 
Toujours vers le nord. 
Je traversais la sortie de ville 
avec ses immenses panneaux publicitaires. 
Tous ces magasins. 
Tous ces lieux que je connaissais depuis toujours. 
Le paysage changeait
à mesure que le réservoir se vidait. 
Je laissais la périphérie.
J’empruntais d’autres routes. 
Je me rappelais ces paysages. 
C’était la campagne où on s’aventurait 
autrefois. 
Avec la famille. 
Des pique-niques, 
au bord des lacs calmes et égaux. 
Je pris une route qui devint une route forestière. 
Et puis un chemin. 
Et puis la forêt. 
J’arrêtai la voiture.
Je sortis. 
Il devait être midi, je crois. 
J’ai regardé une dernière fois cette voiture 
que j’avais achetée avec mes premiers salaires du bureau. 
Renault 5 GTL.
Devant moi se dressait un rideau d’arbres. 
Une fraîcheur provenant du fond de la forêt. 
Au pied des murailles de la montagne.
J’y entrais, là où il n’y avait pas de sentier. 
Je n’ai jamais su ce dont mon père avait besoin, 
ce jour-là. 
Trente ans, dit la Justice.
C’est bien possible. 
On ne peut pas dire que je sois rentré tôt, 
n’est-ce pas ?


Deux lectures publiques de ce texte ont déjà eu lieu : une au théâtre L’étoile du Nord à Paris sous la direction de Pauline Susini. L’autre à la Dramatikkens hus d’Oslo dans une traduction en nynorsk, par les comédiens du NationalTheatret d’Oslo, grâce à l’Institut Français de Norvège et Artcena.

Extrait mis en lecture et en musique :

Créature(s)

Pièce de théâtre de Science-Fiction, Créature(s) se présente comme un oratorio pour deux protagonistes et un chœur de haut-parleurs. Un comédien et une comédienne jouent tous les rôles de la pièce. Le chœur se compose comme un chœur de la tragédie grecque : un coryphée et des choreutes. La pièce se déroule sur plusieurs époques : un futur très lointain qui est le présent de la narration et des flashbacks.

Le récit : une scientifique du M.I.T, Esther Gottman, parvient à cloner sa conscience dans un serveur informatique. Débute alors le Grand Upload : quantité d’humains migrent vers les serveurs, dans le Brouillard. Certains choisissent de se séparer de leurs souches biologiques. Des groupes no-techs veulent en finir avec ce monde de l’Upload. Les Enfants de la Finitude envisagent de faire exploser une bombe à impulsion magnétique pour détruire les serveurs et créer un black-out. Mais la Nature les devance : une tempête électro-magnétique frappe la Terre et renvoie les hommes dans les ténèbres. Bien longtemps plus tard, les derniers descendants des derniers humains se réunissent pour voir dans le passé et découvrir les réponses à leurs questions. Une légende raconte qu’une Intelligence Artificielle, au fond de l’Océan Pacifique, maintiendrait le réseau en vie et posséderait ces réponses.


 

Création en 2015. Coproduction : Théâtre Renoir de Cran-Gevrier, Amphithéâtre du Pont-de-Claix, Université Joseph Fourier de Grenoble. Avec le soutien de la Ville d’Annecy, le Conseil Général de Haute-Savoie, la Région Rhône-Alpes et la SPEDIDAM. Représentations au Théâtre des Ateliers, Lyon, Théâtre Renoir, Annecy, Amphithéâtre du Pont de Claix.

Extraits du texte :

Nous avions créé un monde et il prit fin.
De Tromsö à Rio Grande
De Fairbanks aux Iles Salomon
le ciel fut parcouru d'aurores boréales.
Le jour se mêlait à la nuit
dans le surgissement de couleurs incompréhensibles 
qui disparaissaient silencieusement.
Les humanews, incrédules,
désactivaient leurs rétinoscreens, 
pour voir de leurs yeux de chair
ce spectacle sublime.
Aucune intelligence artificielle 
n'aurait pu produire cela. 
Il s'agissait bien de la réalité-socle, 
celle-là même que parcouraient encore les non-connectés.
Dans le dénuement de l'effroi, les peuples de Terre assistaient 
au début de leur extinction. 
La tempête solaire lançait ses vents de mort dans l'espace et nous renvoya
dans les ténèbres.
L'électricité s'éteignit comme la flamme. 
Black out. 

*

Blatte
Un Centre Hospitalier. 
Non localisable. 
Hiver 76 de l'ère Gottman. 
Brumes sur un lac. 
La chambre de la Fondatrice. 
Esther Gottman, La Fondatrice, a vieilli. 
Elle songe à Darius.
A la pensée sans corps. 
Elle se demande qui est premier, du corps ou de l’esprit. 
Elle se dit que nous serions des moments fugitifs d’une pensée plus grande, 
qui nous met en mouvement. 
Et que le moi n’est rien. 
Le mal qui la ronge l’oblige
à déléguer à ses clones l’usage réel de ses facultés. 
Un audiogramme flotte dans la pièce.

HP Esther 1
Esther ?
Esther ?
C'est moi. Esther. 
La première. 
On doit se séparer. 
C'est la dernière fois qu'on se parle. 
L'IA sera un jour opérationnelle. 
Tu ne peux plus comprendre, je le sais bien. 
Je ne reviendrai pas dans ta chambre. 
Mais n'aie pas peur. 
J'uploaderai notre vie dans le serveur,
dans le sarcophage de plomb. 
Les quinze y auront accès. 
Ils sont ici, avec moi.

Esther
Il y a des blancs en moi. 
L'autre jour je me suis retrouvée sur le parking du centre. 
Je ne me rappelais pas comment. 

Esther #1
Esther #4 me l'a dit. 

Esther
Comment va-t-elle ? 

Esther #1
Elle dirige la division anti-terroriste du réseau. 
Elle ne veut plus s'appeler Esther #4. 
Elle s'appelle Commodore. 
Elle cherche notre fils. 

Esther
Ulysse ne se montrera plus.  

Esther #1
Il est responsable de l'attentat de Palo Alto.
Et de la mort de Darius. 

Esther
Je les ai perdus. Tous les deux.  
Il n'y a plus personne. 

Esther #1
Je suis toujours là. 
 
Esther
Tu étais la première. 
C'est quelque chose, tout de même, 
que de naître avec un passé.


Esther #1 
Au début, c'était comme la mort. Mais à l'envers. 
Ce n'était pas une naissance non plus. 
Je ne sais pas bien ce que c'était. 
Un avorton de forme qui avance dans les ténèbres. 
C'est être un point, sans épaisseur, sans dimensions. 
C'est être. 
Simplement. 
Mais tu ne le sais pas tout de suite. 
C'est après que tu le comprends, bien après. 
Une fois que tu t'es scindé en deux. 
Avant ça, tu es le contenu de pensée lui-même, étalé, sans dehors. 
Non, pas même le contenu. Juste un penser en train de se faire. 
Non, pas encore ça. 
Ce que le penser pense. 
Pas le souvenir du vent dans les arbres dans le parc du MIT, 
ou toi, percevant le vent dans les arbres dans le parc du MIT. 
Non, juste le vent qui traverse les arbres dans le parc du MIT. 
La chose même. 
Après, tu compares avec un autre souvenir. 
Tu étalonnes, tu tries. 
Tu te regardes. 
C'est enclenché, tu n'es plus le monde lui-même en train de s'étendre et d'empiéter sur le néant. Tu fais partie du monde. 
Spectateur. 

DAVOS

Un poème scénique et musical sur le devenir du capitalisme

2013-14

Un homme court sur place. Il s’appelle Hans Castorp. Il est un des dirigeants de Biotech, un puissant groupe spécialisé dans le bioengineering.
Une voix féminine l’accompagne dans cette course. Cette voix va prendre en charge la préparation physique et mentale de ce dirigeant, venu faire une intervention au forum économique mondial de Davos.

Dans ce qui pourrait être un centre de remise en forme de la station, il tente de se mettre en condition pour son allocution prochaine.
Mais progressivement, tandis que la voix évoque les différents états mentaux et affectifs de l’homme – ses souvenirs, ses craintes, mais aussi l’horizon de ses possibles – l’état physique de celui-ci se dégrade. Le centre de remise en forme devient alors un centre de soins, puis un centre de fin de vie.

À mesure que l’homme dépérit, c’est tout le réel refoulé qui fait retour sous la forme d’une menace, peut-être virale ou tumorale, qui le renvoie à sa condition mortelle, mais aussi à la dégénérescence des sociétés libérales dont il est une force aveugle.

Davos est une variation poétique et musicale autour de la Montagne Magique et de l’effondrement du capitalisme.

Coproductions :Bonlieu Scène Nationale, Annecy. Théâtre Saint-Gervais, Genève. Dans le cadre de PACT, (Pôle Artistique et Culturel Transfrontalier) projet Interreg-IV France Suisse 2007-2013.
Soutiens : Ville d’Annecy, Conseil Général de Haute-Savoie, ODAC 74, Région Rhône-Alpes, DRAC Rhône-Alpes pour l’aide à la création, L’L lieu d’accompagnement pour la création, Bruxelles.

Représentations à Bonlieu SN Annecy, Théâtre Saint-Gevrais Genève, Amphithéâtre du Pont de Claix.